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Faut-il éduquer les parents ?

C’était le titre d’une émission récente à la télévision, à laquelle notre réseau Parentalité Créative a participé. Titre choc, invités nombreux et débat sur le plateau, sur la fessée, l’autorité … Cette question est intéressante, en tout cas : les parents ont ils besoin de formation, d’accompagnement, de soutien ? N’est-ce pas une fonction somme toute très naturelle d’être parent ?

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J’ai la chance d’avoir une double expérience à cet égard : celle d’enfant, et celle de parent. A ma naissance, mes parents ont proclamé : « jamais nous ne frapperons nos enfants« . Ils avaient reçu une éducation traditionnelle, ils sortaient tout juste de leur adolescence, et avaient réalisé combien les fessées et autres coups  les avaient blessés. Ils étaient plein d’idéaux à ma naissance. Oui mais. Oui mais. A cette époque, dans les années 80, ils n’avaient aucune aide à leur disposition pour faire différemment, et aucun soutien. Vœu pieux… avec trois enfants rapprochés, ils n’ont pas résisté longtemps à leurs automatismes. Même si ils ont malgré tout réussi à nous élever différemment de leurs propres parents, ils étaient prisonniers de leur propre éducation et n’ont pas réussi, malgré eux, à nous préserver totalement de cette violence héritée de leurs aïeux. Ils ont fait comme ils ont pu avec les moyens qu’ils avaient à cette époque. Cette violence reçue a néanmoins eu plusieurs conséquences graves sur ma vie de jeune adulte. Certains disent parfois qu’une fessée on n’en meurt pas. Moi je peux vous dire que j’ai réellement failli en mourir, d’une part parce que j’avais des idées suicidaires étant jeune, et d’autre part d’avoir appris que l’amour se conjuguait avec le fait de faire mal à l’autre, je n’ai pas su me protéger à temps. Alexia Daval, ça aurait pu être moi (NB: elle a été tuée par son mari). A un cheveu près, ou plutôt à une vertèbre près. Et si l’anecdote ne fait pas la vérité, il se trouve que les études confirment exactement cela  (voir aussi ici et le site de l’OVEO).

Je suis donc devenue parent avec cette conscience également. Avec les mêmes envies de douceur face à mon petit bébé si mignon et si vulnérable. Et je me suis assez vite rendu compte que mes propres automatismes me faisaient parfois réagir de façon violente face aux réactions émotionnelles de mon tout petit, j’avais de la colère qui surgissait de façon incontrôlable. Souvent, aux alentours de ses 2-3 ans, j’avais envie de le frapper, de lui donner une bonne fessée, de lui hurler dessus. J’aurais pu me dire que ça fait partie de l’éducation et que c’est inévitable. Mais non, il y avait quelquechose en moi qui me disait que ça n’était pas cela, l’éducation. J’ai eu la chance de n’avoir qu’un enfant à cette époque-là, pendant sa petite enfance. Cela m’a évité, je pense, de passer à l’acte – bien que j’aie parfois hurlé, et qu’un coup soit parti une fois. Mon petit garçon, qu’est-ce que je m’en suis voulu cette fois là… je me suis juré que cela n’arriverait plus jamais.

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J’ai eu la chance de devenir parent au XXIème siècle. Parce que quand je me suis posé des questions, j’ai trouvé des réponses dans quelques livres, sur des forums internet auprès de parents plus expérimentés et bienveillants, et dans des associations existantes autour de la parentalité. J’ai eu la chance de participer à un atelier de parents. En fait, ça m’a pris plus de 12 mois pour oser y participer : est-ce que c’est bien utile ? Est-ce que le prix vaut le coup ? Est-ce que ça ne fait pas de moi un parent défaillant d’avoir besoin de ce genre de chose? Et en réalité, j’ai trouvé ça génial. Même si pas toujours facile parce que ça remettait ma vision des choses sérieusement en question. J’y ai trouvé les réponses à mes questions, du soutien, de l’humanité, de l’entre-aide et de la compréhension, des outils concrets, et surtout : une aide pour apprendre à travailler sur mes propres réactions sans me sentir ni jugée, ni coupable. Et cela a réellement modifié, avec les années car cela prend du temps, ma capacité à accompagner mon fils avec bienveillance, que ce soit dans l’accueil de ce qu’il vivait ou dans la pose de mes limites. Cette double expérience d’enfant et d’adulte m’a donc totalement convaincue de la nécessité d’accompagner les parents, de leur fournir un soutien concret et efficace, parce que la volonté ne suffit pas face aux automatismes inconscients.

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Biensûr, beaucoup se demandent : mais si on ne met plus de fessée… Voire même pour les plus audacieux qui auraient lu un peu sur le sujet : si on ne punit plus, si on n’isole plus les enfants, est-ce que cela ne risque pas de donner des enfants tout puissants, qui ne respectent pas les règles ni les autres ?

C’est une excellente question. Qui illustre très bien combien notre éducation a imprégné notre façon de percevoir le monde. Pour justifier leurs actes, nos parents nous ont souvent convaincus que c’était pour notre bien. Que sans cette éducation, nous serions des petits monstres asociaux et sans limites. Il fallait bien justifier leur désarroi et leur réponse face à nos comportements d’enfants. Nous avons donc intégré très tôt, bien avant que notre sens critique puisse s’exercer, que sans cela, nous ne serions pas devenu des adultes respectables. En réalité, les études épidémiologiques montrent exactement l’inverse : les enfants recevant des fessées ou des humiliations par exemple, ont plus de comportements agressifs, antisociaux. Étrange, n’est-ce pas? Comment expliquer que notre perception soit exactement l’inverse de ce que montre l’épidémiologie ? Olivier Maurel à la suite d’Alice Miller, l’a très bien expliqué dans ses ouvrages, je vous encourage à aller les lire. Le cerveau a des modes de protection qui modifie notre perception de la réalité. C’est très troublant d’en prendre conscience, mais cela explique bien des choses.

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En réalité, il est tout à fait possible de poser ses limites autrement. Les outils sont nombreux et efficaces, aujourd’hui facilement disponibles, par exemple vous en avez 27 exemples dans cet article. Il y a des façons de le faire qui favorisent l’empathie de l’enfant, son intégration des normes sociales et des règles de la société. C’est une question d’écoute et de compréhension des émotions, de décodage des vrais besoins des enfants, de connaissance du développement de l’enfant, de gestion de ses propres émotions, de connaissance de ses limites, d’affirmation de soi et capacité à gérer les conflits. C’est une question de changement de regard sur l’enfant.

La difficulté pour nous parents qui n’avons pas reçu ce type d’éducation, c’est que nous avons en nous des automatismes qui nous empêchent souvent de parvenir à utiliser ces outils, car nos enfants réveillent nos blessures d’enfant. C’est donc une tâche particulièrement ardue et longue que d’apprendre à faire autrement. Certains parents font ce travail seuls, en couple, avec un entourage amical bienveillant, et c’est tout à leur honneur. Certains autres ressentent le besoin de se faire accompagner, et c’est tout à leur honneur aussi. Ce sont des parents courageux qui ont pris la mesure de l’importance de l’éducation, et qui expérimentent autre chose.

Je voudrais que ces parents-là reçoivent beaucoup d’empathie, parce que ça n’est pas facile, c’est un cheminement parfois escarpé. Cela implique souvent des moments où rien ne semble ajusté, où tout semble chaotique. Il y a des moments difficiles de prise de conscience, de frustration, de sentiment d’incompétence, de culpabilité. Cela fait partie du chemin : nous avons besoin de faire des erreurs pour apprendre, nous avons besoin souvent d’en passer par là pour trouver la force d’apprendre, pour regarder les choses en face et trouver la force de faire autrement. Et dans ce chaos, recevoir du soutien et parfois avoir quelqu’un qui soit à coté de nous pour accompagner nos pas hésitants peut s’avérer une aide précieuse. C’est l’amie bienveillante, c’est la personne au bout du fil (SOS Parentalité), ce sont toutes les initiatives associatives un peu partout en France,  et ce sont aussi des professionnels, comme le réseau Parentalité Créative, qui travaillent dans le privé, mais aussi dans des structures publiques avec des financements de la CAF. Qui organisent, comme moi, ateliers, stages, cafés des parents, conférences, formations pour les professionnels… C’est l’État qui met en place des politiques publiques pour soutenir la parentalité, parce qu’il a compris que 1 euro investi dans la parentalité fait économiser plusieurs euros ensuite, notamment en terme de santé publique.

Alors, non, il ne faut pas éduquer les parents. Il faut surtout leur donner les moyens du défi du XXIème siècle : accompagner les enfants avec empathie, pour diminuer la violence dans la société, que ce soit dans les familles, ou plus globalement.

 

1 réflexion au sujet de “Faut-il éduquer les parents ?”

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