Aujourd’hui je voudrais aborder un sujet très délicat : l’alimentation
Manger, c’est un geste banal, quotidien, à tel point que nous oublions presque à quel point c’est nécessaire pour bien fonctionner. Et pourtant, c’est quelquechose qui s’apprend très progressivement chez les enfants : d’abord le lait, puis quelques aliments, des textures nouvelles, avec les doigts, puis plus tard manger avec des couverts, découvrir plein de saveurs… pour se finir à l’adolescence et l’âge adulte (en général) avec le fait d’apprendre à cuisiner pour soi même et les autres.
Pourquoi mangeons nous tel ou tel aliment, et pas un autre, dans cet ordre là ?
L’alimentation, question de culture et de mode
Dans notre pays, nous faisons trois repas, dont l’un vers midi et l’autre vers 19h le soir. Nous mangeons d’abord une entrée (salée) puis un plat avec féculents, légumes cuits et protéines en général, puis fromage, puis un dessert lacté ou de fruits.
Avez vous déjà voyagé? On mange bien différemment ailleurs. J’ai fait une drôle de tête le jour où on m’a servi un vrai repas à 17h30 en Suède. Et ne parlons pas des variations de petits déjeuners (salés à bien des endroits), d’aliments (criquet? vers de terre? 🙂 ), etc. Eh oui, l’alimentation, c’est super culturel. Au départ, on peut imaginer que cela venait des aliments qui poussaient sur place qui ont créé des variations dans l’alimentation humaine. Mais aujourd’hui, est-ce bien si relié au climat? Par ailleurs, je ne mange pas comme ma grand mère il y a cinquante ans : les recommandations nutritionnelles varient au cours des années, certains aliments deviennent des stars (l’huile d’olive par exemple, quasi inconnue dans ma région dans les années 50′), les menus subissent un vrai phénomène de mode (je suis fan des sushis par exemple, je n’en avais jamais mangé il y a 10 ans), et la disponibilité des aliments a beaucoup augmenté aussi: impossible de manger des fraise à Noël auparavant, et encore moins de hamburgers. L’alimentation, c’est donc surtout un phénomène culturel, soumis à la mode.
L’alimentation est un besoin physiologique
Pourtant, à la base, manger est avant tout un besoin physiologique. Mon corps a besoin d’énergie pour fonctionner, d’éléments de base (les acides aminés par exemple), de vitamines, de fibres….
Notre corps est une merveilleuse machine qui sait aller chercher les éléments nécessaires à sa construction. Il faut imagine qu’il y a 100 000 ans, votre médecin ne vous faisait pas de recommandation nutritionnelle. Les individus dont le corps trouvait un moyen pour indiquer ses besoins alimentaire survivaient donc mieux et l’évolution a donc sélectionné un système suffisamment efficace pour nous inciter à manger ce dont nous avons besoin.
Oui, mais moi j’ai toujours envie de chocolat !
Ben oui, moi aussi 🙂 Alors peut être ai-je besoin de magnésium.. et peut être que non. Notre culture façonne tellement nos goûts, et nombre d’entre nous ont aussi appris à utiliser les aliments pour gérer leurs émotions (quand ce n’est pas parce que nous posons un interdit dessus tout simplement), que nous ne sommes plus tellement connectés à nos vrais besoins alimentaires en tant qu’adultes. Notre éducation nous a souvent désappris à écouter notre ventre : il fallait manger ce que les adultes avaient décidé (même si notre corps le rejetait), finir notre assiette même si nous n’avions plus faim… au risque de dérégler notre rapport à l’alimentation. Les spécialistes des problèmes alimentaires le savent aujourd’hui: forcer un enfant à manger est contre-productif.
Les enfants, eux, naissent avec un rapport aux aliments très lié à leurs besoins alimentaires : vous remarquerez que bien souvent, ils font des monodiètes d’un aliment, puis passent à un autre. Ils n’ont pas forcément de gouts fixes. Car cela dépend de leurs besoins, et ils vont naturellement vers les aliments les plus appropriés pour eux. Nous voudrions qu’ils mangent tant de légumes, de viande, de fruits, de yaourt, par jour…. mais leur appétit ne fonctionne pas comme cela.
Entre 4 et 7-8 ans, afin de les protéger, l’évolution les a doté d’un mécanisme puissant : la néophobie alimentaire. Ils n’ingèrent que ce qu’ils connaissent très bien, et refusent la nouveauté. Afin d’éviter qu’ils aillent ingérer des baies ou aliments toxiques en vadrouillant seuls en dehors du regard de leurs parents, dans la nature. C’est ainsi que la plupart des enfants préfèrerons leurs pâtes et leur steak, à tout nouveau plat, aussi bon fut-il. Et qu’ils sont circonspects face à tout ce qui est vert : cela évite qu’ils aillent grignoter des feuilles toxiques. Rassurons nous, il y a bien d’autres sources de bons nutriments que dans les épinards !
Mon enfant ne mange pas !
Nous arrivons au coeur du sujet… Je vous entends me dire : oui mais mon enfant ne mange rien si je ne le pousse pas ! Ou bien, il ne mangerait que des gâteaux.
Oh que c’est dur de voir son enfant manger peu nos bons petits plats faits avec amour, ou refuser les aliment qu’on lui propose… On est déçu que nos plats ne plaisent pas…. Ça nous fait nous sentir mauvais parents, parfois. On se sent démuni, c’est angoissant de penser que notre enfant pourrait ne pas grandir correctement. C’est souvent source d’angoisses importantes, en particulier avec les tout petits. La peur nous pousse à les inciter à manger, en particulier les légumes et tout aliment que nous jugeons indispensable.
D’un autre coté, que vit l’enfant dans cette situation, lorsqu’il est forcé ou poussé à manger ? Il reçoit le message implicite : tu n’es pas capable de t’alimenter par toi même, je ne peux pas te laisser la responsabilité de manger à ta guise. Il reçoit le message : ne te préoccupe pas de manger, puisque je le fais à ta place. Il reçoit le message : ne fais pas confiance à tes sensations, je sais mieux ce qui est bon pour toi. Parfois, c’est sa façon d’exprimer que quelquechose ne va pas. Bienvenue dans la lutte de pouvoir. Celle où tout le monde est perdant.
D’après mon expérience d’accompagnante parentale, il y a une seule solution efficace dans ce cas là (en dehors de toute pathologie, à vérifier avec votre médecin): lâcher complètement prise et laisser l’enfant s’alimenter en fonction de ses besoins. Au début, il y a de fortes chances pour que rien ne change. Le temps que l’enfant vérifie que c’est bien lui désormais qui va être en charge de manger selon sa faim. Et éventuellement qu’il renoue avec ses sensations alimentaires. Avec le temps, néanmoins, si on se préoccupe juste de fournir une alimentation de qualité et suffisamment diversifiée, sans regarder comment il y touche ni comment il finit, il y a fort à parier pour qu’il retrouve le gout de manger. Peut être pas tous les aliments que vous souhaiteriez qu’il mange, mais ceux dont il a besoin. Oui oui j’ai bien dit : sans prêter attention à ce qui est mangé, sans regarder son assiette une fois servie. Pas simple, n’est-ce pas?
Souvent, tout simplement, c’est juste nous qui surestimons les besoins alimentaires de nos enfants, qui dépendent plus de leur croissance que de leur âge ou de leur taille. Pour aller plus loin sur ce sujet, je vous invite à consulter le livre Mon enfant de mange pas, de C. Gonzalez.
Et si nous laissions nos enfants plus libres dans leur alimentation ?
Pour les parents de tout-petits, une option intéressante est de laisser l’enfant s’alimenter lui même. Cela nous apprend en tant que parent à observer ses gouts, et à lui faire confiance.Cela porte un nom : la diversification menée par l’enfant (DME).
Quand on observe un enfant alimenté en DME, on se rend vite compte que l’ordre des aliments choisi n’est pas du tout le notre : il peut très bien manger du sucré en premier, puis du fromage, puis du poisson. L’ordre des aliments est purement culturel et n’est pas vraiment adapté: par exemple, manger des fruits en fin de repas produit de la fermentation dans le ventre, ce qui le fait gonfler ou peut donner des maux de ventre. Les nutritionnistes recommandent plutôt de les manger en début ou en dehors des repas… alors, pourquoi ne pas laisser nos enfants manger dans l’ordre qu’ils souhaitent ?
Vous vous dites peut être : si je fais cela, mon enfant mangera beaucoup de yaourt sucré et pas de légumes. C’est ce que je me disais aussi avant de l’expérimenter. Ce dont je me suis rendu compte, c’est qu’à force de percevoir le dessert comme une récompense, mon enfant en avait très envie… comme tout ce qui est interdit ou limité en quantité. C’est ma propre attitude vis à vis des aliments sucrés qui en avait fait un objet de convoitise ! Quand cela n’existe plus, les enfants se limitent assez bien seuls vis à vis des sucreries. Et rappelons nous que notre rôle est aussi de leur présenter les aliments qui sont sains pour eux. Le sucre induit une certaine addiction chez certaines personnes, aussi il peut être simplement plus facile de supprimer les aliments trop sucrés de la table et des placards.
Vous vous dites peut être : il n’apprendra pas les codes sociaux. Il y a fort à parier que votre enfant mangera un jour à la cantine, ou avec d’autres personnes.Et comme les enfants apprennent beaucoup par imitation, l’ordre dans lequel vous mangez vous même finira par lui paraitre normal, ou il apprendra en observant les autres. Tous les enfants qui apprennent à manger avec les doigts, finissent tous par vouloir manger avec une fourchette… pour faire comme leurs parents.
De même, nos horaires de repas ne sont souvent pas adaptés aux tout petits : Dolto disait qu’un tout petit devrait manger toutes les deux heures… et je vous ai déjà parlé des conséquences sur leur comportement dans cet article.
Il joue avec la nourriture !
Parfois ce qui nous gêne, c’est que notre enfant fait tout autre chose que manger avec la nourriture. Quelle source d’exploration que la nourriture : des textures, des couleurs, des odeurs, des gouts différents. Quel plaisir que de découvrir cela avec tous les sens, y compris les mains! Nos petits explorateurs ont besoin de pouvoir toucher la nourriture avant de la gouter, cela développe leur sens du toucher. C’est tout une expérience que de plonger les mains dans la purée, des sensations, du chaud, du froid…. avez vous déjà fait l’expérience de gouter un plat comme si vous ne l’aviez jamais mangé, en portant attention à tous vos sens ? En prenant un aliment d’abord dans les doigts avant de le porter à votre bouche, de le humer, de l’observer sous tous ses angles, des formes, sa texture, ses couleurs ?
Et si vous aussi vous jouiez un peu avec la nourriture, pour retrouver le plaisir des sensations que cela procure ?
Et les limites dans tout ça ?
Votre enfant n’a pas besoin de limites. Ce dont il a besoin c’est d’apprendre que les autres ont des limites, et à les respecter. Les limites, ce sont les vôtres, ou celles de votre entourage. Par exemple, certains parents acceptent facilement que leur jeune enfant fasse tomber de la nourriture au sol en apprenant à manger, d’autres non car c’est trop contraignant. Il n’y a pas de bonne réponse. Il est important de respecter ses propres limites et de le faire savoir à son enfant, quand quelquechose est inacceptable pour nous. Ce dont ont besoin nos enfants, c’est que nous soyions clairs sur nos limites et que nous les fassions respecter, tout en étant à l’écoute de leurs besoins à eux.
La question que je me pose souvent est celle ci : quelle conséquence cela a-t-il sur moi, concrètement, et quel besoin cela m’empêche-t-il de satisfaire? Si la conséquence est inacceptable, alors il est important que je respecte mon besoin. Je me pose souvent la question : « Comment respecter mes limites ET satisfaire le besoin de mon enfant? ». Cela permet d’être créatif, et répondre au besoin de mon enfant d’une autre façon sera vraiment plus efficace. Par exemple, si mon enfant mange uniquement les tomates dans une salade composée… peut être cela me dérange-t-il parce qu’il ne laisse pas de tomates aux autres. Dans ce cas, je peux trouver une solution, peut être que la prochaine fois je donnerai les aliments non mélangés à mon enfant, afin qu’il puisse manger ce qui lui fait envie tout en préservant le mélange pour les invités. Ou peut être tout simplement que je lui dirai non, ou je le laisserai manger les tomates dans sa portion, mais sans manger les tomates des autres. Peut être que je peux aller chercher une tomate supplémentaire dans le frigo pour la lui donner.
Parfois, il n’y a pas de conséquence, et c’est juste « parce que c’est comme ça ». On mange le plat tel qu’il se présente, on ne trie pas. On ne gaspille pas. Une bonne façon de débusquer les règles qui n’ont pas forcément de sens, juste celui de ne pas remettre en cause notre propre éducation.
« Mange tes haricots ! » (spéciale dédicace à mon papa et ma môman 😉 )
😉 Bon appétit !
PS : et vous, quelles sont vos astuces ?
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