Sous-estimons-nous la capacité des enfants à prendre en compte les désirs de leur entourage ?
Ce matin, mon fils, 7 ans, se réveille en pleine forme et de bonne humeur. C’est samedi, toute une journée pour faire plein de choses, librement! Le voilà parti pour jouer, construire des choses, inventer des histoires.
Il y a un petit « mais« : nous avons prévu une sortie cet après midi, avec d’autres enfants et adultes, et un repas avec des amis le soir en dehors de la maison, avec nuit sur place. Aussi, je commence à lui en parler dès le déjeuner.
Et là… patatras ! Mon enthousiasme est très vite douché: « non, je ne veux pas y aller, moi je veux rester jouer ici!« . « C’est toujours toi qui décide, j’en ai marre!« . Rien à faire… il ne veut rien entendre. Même à mes explications qu’il a le temps de jouer et que nous partirons un peu plus tard. « Je n’irai pas ! ». Il est très en colère, et il me le fait savoir. Je suis très tentée de lui dire : « C’est comme ça et puis c’est tout ! », non mais ! Intérieurement, je me dis qu’il est incapable de tenir compte de moi, que du coup c’est à moi de décider du programme ! Fort heureusement, c’est le week end, je suis détendue et j’ai un peu de temps devant moi. Il est donc possible de prendre un peu de recul en déjeunant, et de réfléchir à ce qui bloque.
C’est vrai, pourquoi est ce qu’il refuse autant? À première vue, il subit déjà beaucoup de contraintes lors du temps scolaire, il a peu de temps pour faire ce qu’il veut avec les devoirs, le samedi est son premier jour de liberté. C’est aussi le jour où il revient chez moi pour la semaine. Bon. Je comprends bien qu’il soit important pour lui de rester et d’investir son petit nid, de prendre le temps, à son rythme.
D’un autre côté, je lui accorde souvent ce temps à la maison, mais aujourd’hui j’ai envie de voir les personnes qui me sont chères et de passer une bonne soirée. Je réalise que je n’ai pas très envie de passer ce temps à la maison pour cette raison que je tiens beaucoup à mes proches, que j’aime passer du temps avec eux et prendre soin de nos relations.
Mais, au détriment de celle avec mon fils ?
Je me sens un peu coincée, là. II y a conflit apparent entre ses besoins et les miens.
Comment sortir de cette impasse? Soit je tranche en ma faveur, soit en la sienne, dans les deux cas l’un de nous sera perdant… et notre relation le sera également car l’un des deux aura du ressentiment envers l’autre. Si je décide de sortir, il m’en voudra, la sortie risque de mal se passer, et surtout, plus gênant, je lui envoie le message : je ne te fais pas confiance pour trouver une solution ensemble qui nous convienne à nous deux. Je le sais parfaitement, c’est une solution que j’adopte souvent dans la course au quotidien, qui ne fonctionne pas très bien, et qui a tendance à faire empirer les choses à long terme (d’ailleurs, il me l’a dit!). Bref, là, j’aimerais mettre autre chose en œuvre.
Je choisis donc un autre outil : la résolution de conflits.
La résolution de conflits consiste à poser le conflit sur la table et s’écouter l’un l’autre, puis chercher des solutions créatives ensemble. Elle se fait en général en 5 étapes qui sont toutes nécessaires.
1. Décrire le conflit et prendre le temps de discuter au calme
Une fois qu’il s’est calmé, je lui propose donc de s’asseoir avec moi et je lui décris le problème. Je lui dis que j’aimerais que nous en discutions pour trouver une solution qui convienne à chacun de nous.
Parfois, mon fils ne veut pas (ce n’était pas le cas cette fois), dans ce cas soit l’on peut reporter, si ce n’est pas urgent, par exemple si les enfants sont en plein jeu. Soit il est nécessaire d’affirmer son besoin de trouver une solution : « Pour moi c’est très important que nous trouvions ensemble cette solution, car cette situation me met en colère et ne me convient pas du tout ». Il m’est aussi arrivé de dire face à un refus répété que s’il ne souhaitait pas en discuter, que je serais contrainte de prendre des décisions toute seule pour résoudre ce problème. Avec l’habitude cependant, les objections diminuent car les enfants voient l’intérêt du processus.
2. Écouter les sentiments de l’enfant.
Je commence par lui dire que je vois qu’il a beaucoup de plaisir à jouer librement, sans être pressé par le temps. En faisant cela, j’essaie de me connecter à son plaisir d’être juste là au moment présent, dans son jeu, dans son univers. C’est vrai que c’est vraiment agréable d’être pris dans une activité qu’on aime, sans interruption. Je conclus en lui disant que du coup, il n’a pas du tout envie de sortir ni de voir du monde, ce à quoi il acquiesce. Je continue à lui parler de ce qu’il vit et de son besoin d’être tranquillement chez lui sans être dérangé. L’ idée ici, c’est que l’enfant se sente vraiment compris dans ses besoins et ses sentiments.
Attention cette étape est indispensable – c’est même une des clés essentielles – et la pratique de l’écoute active des émotions et de l’empathie est nécessaire, faute de quoi les solutions proposées risquent de ne pas fonctionner.
3. Parler de ses sentiments et besoins à soi.
Là il s’agit de faire bref et de parler de soi (et d’éviter les « il faut », « pas le choix », etc, le « mais » également). « En même temps (car les deux sont présents), j’ai vraiment besoin de sortir de la maison de mon coté et de voir nos proches, c’est très important pour moi. ». N’ayons pas peur de nous affirmer, c’est important que nos enfants comprennent que nous avons des besoins également. Pas si simple, n’est-ce pas, de parler en « je » de ses émotions et besoins !
4. Lister toutes les solutions sans les évaluer
Biensûr, il redit: « oui mais moi je ne veux pas partir ». Un peu moins fort qu’au début 🙂 Il s’est déjà apaisé parce qu’il s’est senti entendu. Je lui explique que nous allons lister sur une feuille toutes les solutions possibles sans choisir pour le moment.
Je prends une feuille blanche et j’écris donc : ne pas sortir et rester à la maison. Et je lui demande s’il a d’autres propositions. Puis je propose la mienne de départ : sortir cet après midi et ce soir, en dormant sur place. Il fait la moue, mais je lui rappelle qu’on écrit toutes les solutions. C’est le jeu. Puis j’en propose d’autres, et lui aussi. Jouer à la maison une heure puis sortir. Sortir cet après midi mais pas ce soir. Y aller ce soir mais rentrer après. Faire une autre sortie tous les deux seulement. Nous réfléchissons tous les deux et faisons travailler nos neurones. Régulièrement, je lui explique aussi les contraintes horaires qu’il ne maitrise pas bien (par exemple, si nous partons trop tard, nous ne pourrons pas aller dehors, il fera nuit).
Au final nous trouverons ensemble une quinzaine de solutions créatives !
5. Choisir les solutions acceptables pour les deux.
Je lui demande lesquelles sont inacceptables pour lui, et je les barre. J’en barre également de mon coté. Je relis la liste restante. Il y a plusieurs solutions possibles.
Et là…. et là…. il réfléchit quelques secondes et me dit : « Bon, si je peux jouer un petit moment maintenant, je veux bien qu’on y aille cet après midi et manger là bas ce soir avec tes amis. Par contre je voudrais rentrer dormir à la maison ».
#dansedelajoie !
Hasard? Magie ? Outil très efficace ! Voilà, comment la résolution de conflits permet de résoudre ce type de problème : il s’est senti entendu et a été rassuré sur le fait que je tiens compte de ses besoins. Il a mieux appréhendé les contraintes temporelles en discutant du programme possible. Je suis prête aussi à lâcher le fait de dormir sur place parce que je me sens entendue aussi (et au final, après la soirée, et avec son accord nous sommes restés dormir car il a bien vu que nous étions trop fatigués pour le trajet, mais j’étais prête à rentrer pour respecter notre accord, s’il m’avait dit non). Bref, nous avons trouvé un vrai compromis où chacun s’est senti respecté et entendu. Et c’est loin d’être la seule fois que ma famille a expérimenté cela, avec satisfaction.
Ce que l’enfant apprend dans ce type de résolution :
- que ses besoins ont de l’importance
- que ceux de son entourage aussi
- que nous ne sommes pas obligés de lutter l’un contre l’autre, mais nous pouvons œuvrer ensemble à résoudre les problèmes
- que les conflits sont une source de meilleure connaissance de l’autre
- qu’il peut être actif pour favoriser le bien être de tous
- que les besoins ne sont pas forcément en compétition, mais qu’en mettant en commun notre créativité, nous pouvons satisfaire les besoins de tout le monde
- qu’écouter les autres est primordial
Vous trouvez cela long? Essayez-le donc pour des conflits récurrents, cela fait gagner beaucoup de temps. Je viendrai peut être vous raconter ma dernière utilisation sur un conflit qui dure depuis des lustres.
Et si l’enfant ne respecte pas ses engagements? En général, il y a beaucoup plus de chance qu’un enfant respecte un accord quand il l’a trouvé avec ses parents et a été proactif dans la recherche de solution. Je l’ai moi même testé avec des ados de quartier difficile en collège. Mais ne me croyez pas sur parole ! Parfois, les enfants surestiment leurs capacités et s’engagent dans des choses trop difficiles pour eux. On peut leur rappeler le compromis trouvé, et si ça ne fonctionne pas, c’est qu’il est nécessaire de reprendre la résolution de conflit en tenant compte de ce qu’il se passe, en explorant leur ressenti et en essayant d’autres solutions plus abordables pour l’enfant.
Avez-vous déjà essayé ? N’hésitez pas à partager vos expériences en commentaires !
Pour aller plus loin
- Une nouvelle autorité sans fessée ni punition, Catherine Dumonteil -Kremer
- Poser des limites à son enfant et le respecter, Catherine Dumonteil -Kremer
- Écouter pour que les enfants parlent, parler pour que les enfants écoutent, Faber & Mazlish
- Parents efficaces, Thomas Gordon
Dans votre processus de résolution de problème, j’y « lirais bien, l’utilisation du modèle de l’Approche-médiation . Est ce processus que vous décrivez ? Pour ma part, je l’utilise et il s’agit d’étapes identiques. ( modèle franco- québécois : Michèle Savourey/Pierrette Brisson)….
Un grand merci pour votre témoignage. ..
C’est un processus utilisé par de nombreux négociateurs, diplomates et médiateurs effectivement, ils ont toute une origine commune qui vient de l’approche humaniste de Carl Rogers. Au delà du nom, c’est la façon d’appliquer le processus qui est importante et l’esprit et l’intention avec laquelle on le fait 🙂
Merci pour votre commentaire !
Merci encore Flore pour cette newsletter ! Ce rappel bien imagé de la résolution de conflit tombe à pic pour nous !
Au plaisir de te revoir.
Merci ! 🙂
J’espère que vous allez bien, à bientôt j’espère !