Préambule : l’écoute des émotions
Il y a quelques temps, nous avons commencé à nous intéresser aux conflits entre enfants, et nous avions vu un premier outil pour apaiser les tensions et apprendre aux enfants à gérer les conflits : https://parentalitepositive.wordpress.com/2017/05/05/disputes-entre-freres-et-soeurs-comment-les-resoudre-episode-1/
Si vous avez suivi, vous savez que l’écoute est la première chose à mettre en place pour aider les enfants à gérer leurs émotions, afin de pouvoir régler leurs différends. C’est la première chose à vérifier lorsque vous intervenez sur un conflit : mes enfants sont ils aux prises avec des émotions qui perturbent leur analyse de la situation et leur réflexion ? Si oui, pas d’hésitation : un conflit ne se règle pas dans ces conditions, il faut d’abord utiliser notre trousse de secours d’urgence : l’empathie. J’ai expliqué pourquoi la dernière fois, ici nous allons explorer un autre exemple qui montre que les enfants ressentent souvent des émotions liées à leur interprétation des faits.
Comment un enfant interprète- t-il le comportement d’autrui ?
Cela nous semble évident et pourtant les enfants mettent de longues années à l’intégrer : ce qu’il y a dans la tête des autres est très différent de ce qu’il y a dans la notre. C’est tout l’enjeu de la période 4-8 ans : apprendre que les autres ont des besoins et des pensées autres. Avant cela, les enfants imaginent que ce qu’il y a dans leur tête est évident pour autrui, et interprètent les actions des autres uniquement en fonction d’eux mêmes. Même plus âgés, cela demande des compétences complexes pour apprendre que les enfants ont des pensées et interprétations différentes.
Nous en avions déjà parlé dans le précédent article, il croient souvent que les autres enfants ont des comportements exprès pour les embêter. Ce qui n’est pas le cas la plupart du temps, les autres enfants cherchent juste à satisfaire leurs besoins à eux, parfois de la mauvaise façon. Comme vous le savez peut être, 90% de nos émotions sont générées par nos croyances et nos interprétations erronées des situations. D’ailleurs, nous tombons nous aussi souvent dans ce piège : nous disons : « ils m’ont fait une crise / un caprice » . Pourtant, ils ne l’ont pas fait contre moi ! Mais nos mots créent notre réalité: si je suis convaincue qu’ils ME l’ont FAIT, alors je vais être en colère parce que je me sens agressée puisque c’est contre moi, et je pars du principe qu’ils le FONT exprès. Si j’ai conscience qu’ils ont VÉCU une crise, sans l’avoir forcément choisi, juste parce que c’est comme ça qu’ils gèrent leurs émotions pour le moment, je me sens plus calme intérieurement pour me placer en posture d’adulte qui accompagne et enseigne. Nos enfants sont donc particulièrement victimes de ce phénomène de croyances et interprétations erronées. Dernièrement, nos deux grands se plaignaient sans cesse que le petit pleurait comme un bébé tout le temps, en se moquant évidemment. J’ai fini par comprendre une chose : ils avaient tous les deux la croyance que s’il pleurait, c’est qu’ils avaient fait quelquechose de mal et donc que c’était toujours eux les responsables. Empêcher le petit frère de pleurer était donc la façon la plus simple de ne pas se sentir coupable !
Reformuler et décrire la situation pour sortir des interprétations
Pour sortir de ces croyances, les enfants ont besoin qu’on reformule avec eux ce qu’il se passe, sans évaluer ni juger. Le plus simple, c’est d’observer objectivement ce qu’il s’est passé, décrire : toi tu as fait ça, et lui il a fait ça. Et laisser chaque enfant s’exprimer sur le sujet. A certains moments, nous décrirons leurs émotions, et d’autres juste ce qu’il s’est passé.
Petit à petit, les enfants sortent de leurs croyances, tout en se sentant entendu et commencent à entendre ce qu’il se passe pour l’autre. Nous pouvons juste adopter cette attitude de « cerveau extérieur » qui les aide à formuler ce qu’ils ont à dire d’une façon qui n’agresse pas l’autre, où on parle de soi et on évite le « tu » ou « il » qui accuse. En effet, je peux entendre les besoins et sentiments d’autrui à condition que celui-ci les exprime sans que je me sente agressé ou accusé.
Maintenant que c’est fait, sont ils en état d’écouter les besoins de l’autre? Si oui, vous pouvez passez à l’étape suivante.
La question magique du besoin
Derrière tout comportement, il y a un besoin. A quel besoin chaque enfant cherche-t-il à répondre ? A-t-il besoin d’appartenance, quand il vient dans le jeu des grands ? Il aimerait ainsi faire partie du groupe, se sentir inclus. A-t-il besoin de calme et de concentration quand il joue à construire des vaisseaux en légo ? A-t-elle besoin d’attention en venant la chercher auprès de son frère ? A-t-telle besoin d’explorer en touchant aux bijoux de sa soeur? A t elle besoin de bouger, ce qui perturbe son frère qui veut du calme ? Nos besoins sont universels. Les solutions pour y répondre sont par contre, très variées. Nommer nos besoins, c’est pouvoir être compris des autres et sortir du piège de la solution unique. En exprimant les besoins, aussi, chaque enfant reprend du pouvoir sur sa vie et pour satisfaire ses besoins. Un besoin d’attention peut être comblé par une autre personne, ou à un autre moment. Un besoin de calme peut être satisfait en changeant de lieu. Un besoin d’exploration peut être comblé en donnant d’autres objets brillants et colorés qui nous appartiennent. Il y a mille solutions à un même problème, et chaque famille aura la sienne.
Une fois que l’on a aidé les enfants à comprendre mutuellement leurs besoins, l’outil phare c’est … de les laisser trouver une solution ensemble, si le conflit ne nous concerne pas, c’est à dire si ce n’est pas nous qui avons besoin de trouver une solution. A qui appartient le problème ?
Sortir du conflit et leur exprimer notre confiance : prendre un posture de médiateur et non de sauveur
On peut ainsi par exemple leur exprimer qu’on leur fait confiance pour trouver une solution et quitter la pièce, s’ils sont en sécurité et plus sous émotion. Ou rester mais juste en observateur / en aide pour formuler des besoins / des solutions. Pas simple, n’est-ce pas ? Et pourtant, en intervenant toujours pour proposer une solution, voire l’imposer, je leur envoie le message implicite : vous n’êtes pas capables de trouver une solution vous mêmes. Alors, pourquoi s’embêteraient ils à résoudre leur conflits, puisque qu’ils n’en sont pas capable à mes yeux ? Ou peut être l’ainé s’applique-t-il à reproduire le modèle qu’il a sous les yeux : imposer sa solution avec autoritarisme, ce qui ne résoud pas durablement les conflits. Il ne s’agit pas de dire aux enfants : débrouillez vous avec vos disputes. Il s’agit vraiment de les aider à s’apaiser et revoir la situation avec plus de recul, puis de leur permettre de régler leur conflit eux mêmes, entre eux. Cela leur apprend progressivement à être autonomes dans les conflits de leur vie. On peut leur dire : comment allez-vous faire maintenant / à l’avenir, pour que cela se passe mieux? Avez-vous des idées ? C’est tout à fait possible quand les enfants ont tous plus de 4-5 ans. Vous verrez, ils seront sans doute très créatifs et auront plein d’idées. Pour les plus petits, nous devrons trouver une solution avec eux, souvent, même s’ils peuvent aussi en proposer. L’idée principale, c’est qu’un enfant actif dans la recherche de solutions a bien plus de chances d’appliquer de lui même cette solution.
Savoir régler un conflit s’apprend… et demande pas mal d’expérience, d’échecs, d’essais… cela prend beaucoup de temps. Presque le temps d’une enfance. Ou d’une vie ? 🙂 . C’est dur de ne pas intervenir dans leur recherche de solutions, souvent, car nous les voyons aller droit dans le mur par des propositions qui nous semblent inadaptées. Nous avons une grande expérience et avons envie de leur en faire profiter. Pourtant, c’est un processus : rechercher ensemble, par essais erreurs. On apprend essentiellement en se trompant ! Et ce n’est pas grave… une fois qu’on a discuté, on se sent mieux, on est actif dans la recherche de solutions, on n’est plus une victime paralysée par ce qui lui arrive. Et si la solution ne marche pas, il suffit de rediscuter pour trouver autre chose. C’est un processus.
Quand intervenir ?
Vous vous dites peut être : mais alors, on n’intervient jamais dans les disputes?
Et si, il est important de protéger avant de les laisser discuter de leurs désaccords. En particulier si il y a eu des coups, il n’est pas souhaitable que les enfants restent en présence l’un de l’autre, pour le moment. Ils sont dépassés par les émotions et ne sont pas en situation de discuter. L’enfant qui a été frappé peut sentir son intégrité menacée et avoir besoin de temps pour retrouver de la sécurité, il a besoin d’écoute et d’être contenu physiquement et avec douceur, sans la présence de celui qui l’a agressé. Celui qui a tapé a besoin qu’on lui signifie que la violence n’est jamais acceptable, et qu’on lui montre comment exprimer sa colère autrement, peut être aura-t-il besoin de pleurer et de décharger des émotions aussi. En tout état de cause, il est donc souvent nécessaire de séparer les enfants – parfois de force mais toujours avec bienveillance – ils ne le font pas exprès, ils sont débordés par leurs émotions – et d’être présent auprès de chacun d’eux pour dégonfler leur ballon émotionnel, avant de rediscuter du conflit ensemble quand ils seront plus calmes. Cela leur enseigne aussi à sortir d’un conflit quand on n’est pas en état de le gérer ou que l’autre ne l’est pas, pour se protéger soi et protéger les autres, ce qui est une compétence nécessaire dans la vie d’adulte. Si tous les conjoints violents avaient cette capacité à sortir de la maison quand ils se sentent dépassés, le temps de redescendre, il n’y aurait sans doute plus de violence conjugale.
Dans ce cas, ou dans les cas où les émotions sont trop fortes pour discuter, il est très utile de remettre la discussion à plus tard, quand tout le monde sera plus calme et capable de prendre du recul et d’écouter les autres.
Parfois, les enfants se disputent parce qu’ils sont jaloux de ce qu’a eu un autre enfant, que ce soit du temps, de l’attention, un jouet, un compliment…. Comment les aider à mieux le vivre? Faut il leur donner toujours la même chose ? Comment être parent de fratrie sans se couper en deux, trois, quatre, cinq…? Nous en parlerons dans le prochain article.
A bientôt !
PS : c’est valable pour nous aussi : on essaie, on se trompe, on recommence, on expérimente, on apprend de nos erreurs de parents. L’erreur est une grande source de créativité et d’apprentissage, pour peu qu’on ne se juge pas et qu’on analyse ce qu’il s’est passé avec bienveillance, y compris envers nous même. 😉